Pourquoi l’IA ne remplacera jamais les artistes

Il y a quelques années, personne n’imaginait qu’un logiciel simple d’accès pourrait générer des images hautement détaillées et de qualité à partir de simples mots-clés. Cette technologie a été disponible si rapidement que les professionnels et les amateurs d’art ne savent plus où donner de la tête. Certains dénoncent des pratiques douteuses des concepteurs de ces logiciels, d’autres crient à la nouvelle révolution créative. Comme toute vérité, elle se trouve quelque part entre deux avis extrêmes. De mon point de vue, l’IA est un outil formidable ; le problème vient davantage de son encadrement et de son utilisation. Cependant, dans cet article, j’aimerais passer en revue les arguments les plus récurrents des détracteurs envers cette technologie et essayer d’apporter un peu de nuances au milieu de toutes ces vives réactions.

Face à l’IA : Un combat perdu d’avance

Lutter contre l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde artistique est une bataille perdue d’avance, comparable à déclarer la guerre contre la drogue. Cette comparaison un peu forte souligne l’importance de mieux encadrer l’utilisation de l’IA plutôt que de simplement la condamner. De nombreux utilisateurs ne sont pas nécessairement sensibilisés aux questions de droits d’auteur, d’où la nécessité de prévention plutôt que de condamnation. Qui mieux que les artistes eux-mêmes pour définir le cadre d’utilisation de cette technologie ? Il est crucial d’aller au-delà du simple débat de condamner ou non l’IA.

L’IA dans l’Art : Une histoire qui se répète

Bien que l’IA artistique puisse sembler novatrice, son impact rappelle l’avènement de la photographie à l’époque de la peinture. Ces deux technologies sont comparable sur trois points : elles ont été crées par des ingénieurs et non des artistes, n’ont pas immédiatement été reconnu comme des techniques artistiques et a questionné le positionnement des artistes. Actuellement, la photographie et la peinture coexistent comme deux médiums artistiques distincts, chacun enrichissant l’autre. Le passé n’est pas forcément le reflet de l’avenir mais on peut en tirer des leçons. Cela suggère que, malgré les apparences, l’IA artistique n’est pas aussi révolutionnaire qu’elle pourrait le paraître à première vue.

Une catégorie d’artiste en danger

En comparant avec la photographie, un fait indéniable se dégage : tous les types d’artistes ne seront pas impactés de la même manière. La majorité des portraitistes du 19e siècle se sont reconverti en photographes. Certains services, comme les clichés de famille, se prêtaient mieux à la photographie. Néanmoins, l’avènement de la photographie a offert des opportunités créatives aux peintres, notamment les impressionnistes, qui représentaient une alternative au réalisme déjà proposé par la photographie.

Certains domaines, tels que l’illustration jeunesse et l’industrie du divertissement (cinéma et jeux vidéo), peuvent être davantage influencés par l’avènement d’outils générant des images rapidement. Les peintres traditionnels ont encore de beaux jours devant eux grâce aux passionnés d’art, amateurs d’art et collectionneurs faisant fonctionner ce marché pour le plaisir (ou la spéculation) de posséder un objet d’art unique. N’oublions pas que la peinture est de la matière, et aucun programme informatique ne peut créer de la matière.

Les artistes sont aussi des « voleurs »

L’un des arguments fréquemment évoqués pour dénoncer l’utilisation de l’IA est qu’elle génère des images à partir d’œuvres d’artistes sans leur consentement. Je ne sais pas s’il s’agit de mauvaise foi, d’hypocrisie, ou d’un manque de culture chez certains artistes, mais tous sont, dans ce cas, des « voleurs ». Je l’ai toujours affirmé, et je le répète, l’originalité suprême n’existe pas. Chaque artiste a développé son style et sa proposition grâce à une combinaison unique d’un héritage artistique. Il est essentiel de reconnaître ses sources d’inspiration et ses mentors. Ceux qui prétendent ne s’inspirer de personne sont en réalité influencés par leur environnement et leurs souvenirs, ne prenant même pas le temps de choisir leur source d’influence.

Si l’IA crée des images trop proches d’une œuvre, l’artiste peut faire valoir ses droits. Cependant, si elle se contente de copier une méthode, un processus, elle n’est pas plus attaquable qu’un artiste s’inspirant d’un autre artiste. On peut néanmoins affirmer que les artistes n’ont pas donné leur autorisation pour que l’IA s’inspire de leur œuvre. Toutefois, comme les artistes qui ont inspiré d’autres, ils n’ont aucun contrôle dès lors que leur œuvre est diffusée au grand jour. Si l’intelligence artificielle s’amuse à copier une œuvre, elle est condamnable au même titre qu’un individu. Jusqu’à là, rien de bien nouveau.

Rémunérer ses sources d’inspiration ?

À titre personnel, je pense que les créatifs qui cherchent à critiquer les concepteurs de logiciels générateurs d’images par IA le font par opportunisme. Cette technologie connaît un succès retentissant que tout artiste ambitieux rêverait de connaître. Si certains dénoncent ces logiciels utilisant le travail des artistes et réclament rémunération et dédommagement, alors les artistes eux-mêmes devraient commencer à payer leurs sources d’inspiration. Les peintres et illustrateurs figuratifs, dont je fais partie, utilisons de manière si évidente la photo comme source de références qu’il ne nous traverse même pas l’esprit que le photographe pourrait tenir le même discours à notre égard. À une certaine époque, les peintres payaient les modèles vivants pour inspirer les poses souhaitées pour l’élaboration de leur peinture, la photographie nous a permis de nous en affranchir. Je ne suis pas contre cette idée, mais soyons cohérents jusqu’au bout.

L’IA : Un outil à maîtriser

Il vaut mieux prendre en main cet outil le plus tôt possible plutôt que de dénoncer ses utilisateurs. Les personnes les plus aptes à utiliser cet outil sont les artistes eux-mêmes. Les artistes ayant une formation académique en arts visuels seront toujours plus aptes à cerner les détails techniques du rendu que les utilisateurs lambda. Les images générées par l’intelligence artificielle présentent souvent un très bon rendu général, mais les détails sont parfois approximatifs. Certains défauts sont propres à l’IA, tels que les mains difformes, les textures et dégradés lisses, les compositions avec le sujet toujours au centre, et les canons féminins et masculins très redondants. L’IA est un outil extraordinaire, mais pour un œil averti, elle n’est pas exempte de défauts.

J’encourage vivement les artistes à utiliser cet outil dans leur processus créatif. L’IA peut être une excellente source de références. Pour certains sujets, réaliser des recherches photographiques pour du dessin figuratif peut être fastidieux ; avec cet outil, on peut générer des références selon nos exigences précises. On peut également utiliser cet outil pour l’élaboration de maquettes et de prémices d’idées créatives. Les concept artistes qui intègrent déjà la photographie à leur création peuvent aussi utiliser l’intelligence artificielle. Le processus créatif est déterminant pour un artiste. On peut se demander pourquoi vouloir optimiser ce processus. Plus on a la chance de donner vie rapidement à ses idées, plus on pourra repousser les limites de notre réflexion créative au cours de notre existence.

Pour conclure, je tiens à souligner à nouveau que le problème majeur réside dans l’encadrement et la législation de cet outil. Imaginons que nous venons de créer le couteau, un outil formidable permettant la sophistication de notre cuisine mais également potentiellement mortel. L’arrivée de l’IA a été si soudaine que nous n’avons pas eu le temps de nous interroger à ce sujet ni de prendre position pour en tirer des bénéfices tout en limitant les effets néfastes. Le temps jouera le rôle de modérateur, et peut-être que l’IA deviendra un nouveau colocataire aux côtés de la photographie et de la peinture..