C’est quoi le Graffiti ? Décodage d’une mystérieuse communauté

Introduction

Vous vous êtes peut être déjà demandé comment des gens pouvait peindre le long du périphérique ou de l’autoroute dans des endroits aussi peu accessible ? Quand font-ils cela ? Qui sont ces gens ? Qui se cachent derrière ?

On est 2007, 2008, ayant aux alentours ce 13 ans, je traine sur YouTube et je tombe sur des vidéos de O’clock et Horfee. Je suis à la fois interpellé, choqué et admiratif. Peu de temps plus tard, je visionne le reportage, qui deviendra culte, « Tag la guerre souterraine », réalisé par Hugo Hayat en 2007 et diffusé sur Canal plus.
Un ans plus tard, lors d’un voyage en Espagne pour rendre visite à ma famille, un cousin plus âgé, amateur de graffiti et ami de quelques graffeurs, m’emmène acheter des sprays et m’accompagne pour réalisé mon premier graffiti. A ce moment là j’étais loin d’imaginer dans quoi je mettais les pieds. Je vous partage ici mon expérience du graffiti et vous propose une immersion dans un monde très souvent mal compris.

Partie 1 : Les codes tacites du graffiti

Un peu de contexte

Si vous êtes graffeur, ou familier de ce milieu vous êtes alors déjà initié. Pour ceux qui se demande de quoi je parle, un peu de contexte : le graffiti , tel que nous le connaissons actuellement, est une forme d’expression artistique qui a vu le jour à New York aux Etats unis au débuts des années 70. Le premier tagueur dont en entendra parler est Taki 183. Bien que la peinture murale existait déjà, c’est à cette époque que cette culture a développé ses propres codes et s’est organisée pour devenir un mouvement artistique à part entière.

Pour bien clarifier les termes : le tag représente une signature d’un trait réalisé au marqueur ou à la bombe de peinture sur un mur ou tout autre support urbain et public. Le graffiti, quant à lui, est l’art de la lettre avec un style plus recherché, des contours, des effets de 3d et autres effets de styles. Faire du graffiti implique de faire du tag, mais l’inverse n’est pas vrai. Par ailleurs, le tag se distingue d’une simple inscription par l’utilisation d’un surnom récurrent appelé « blaze ». L’objectif est d’être identifié sans nécessairement exprimer des messages politiques. D’autre part, le street art est un courant artistique réunissant toute les formes d’expression dans l’espace public, je reviendrai sur ce sujet en particulier un peu plus tard.

Tag dixit
Graffiti Rasko

Le graffiti est fait pour les graffeurs

Le graffiti est une culture, une communauté, avec ses codes tacites, son jargon et sa hiérarchie.
Je fais partie des premières générations à découvrir le graffiti par internet malgré que mon cousin soit l’élément déclencheur. Au début des années 80, lors de l’arrivée du graffiti en Europe et en France, il fallait nécessairement être initié par un autre graffeur pour découvrir cette culture.

Il est essentiel de comprendre que le graffiti est créé et évolue pour les graffeurs eux-mêmes. C’est pourquoi le grand public peut parfois exprimer une hostilité envers cette forme d’expression. Seuls ceux qui peuvent décoder les subtilités peuvent réellement l’apprécier. Néanmoins, j’aimerais partager quelques clés de compréhension pour les novices.

Trouver un blaze

Très souvent les graffeurs vont tester quelque combinaisons de lettres à leur début avant d’en affectionner quelques une en particulier, pas plus de 4 à 5 généralement pour des raisons d’efficacité d’exécution et de matériel, tout en cherchant à les disposé de manière à avoir former des syllabe lisibles. Voila pourquoi on retrouve des blaze souvent dénué de sens.

Etre le plus visible possible

Le seul et unique objectif pour un graffeur est d’être le plus visible possible. Pour cela, deux stratégie possible : se concentrer sur la quantité au détriment d’un style simple et basique, ou bien développé un style marquant la rétine et reconnaissable entre milles. Le graffiti est une forme d’art impliquant une notion de performance mesurable et quantifiable. La réputation et la renommé d’un graffeur est ce qui a de plus important. L’objectif ultime est de devenir le plus reconnu, le plus actif de la ville.

S’organiser en groupes

Pour être plus performants, les graffeurs s’organisent souvent en groupe, ce qu’on appelle des Crew. Ce sont des acronymes de 2 à 3 lettres ou chiffres. À l’apogée du graffiti parisien, les UV (Ultra Violent) et les TPK (The Psycho Killerz) dominaient la ville. On retrouve également le Crew 156, dont font partie O’clock et Jon’one.

Le respect avant tout

Le plus grand affront qu’un graffeur puisse subir est de voir l’un de ses graffitis recouvert par celui d’un autre. Les graffeurs ou les Crew peuvent se faire la guerre par graffiti interposé, parfois cela peut dégénérer en altercation ou se résoudre pacifiquement par un échange de bombes de peinture.

« Toy », « Book », « Spot », « Flop », « Buffer », « Jam », « Panel », « Wholecar » et bien d’autres sont des termes du jargon propre au graffiti que je vous encourage à découvrir par vous-même.

D’autre part, les supports privilégiés des graffeurs sont les trains et métros en raison de leur mobilité. Bien que ces supports offrent une meilleure visibilité, ils impliquent également plus de risques. Les autoroutes et périphériques voient également passer un grand flux de personnes. Les graffeurs ont su faire preuve d’ingéniosité pour infiltrer les dépôts de train, de métro et les structures en hauteur. Plus le spot est difficile d’accès, plus il y a de chances que leur graff dure dans le temps.

L’art de la lettre

En revanche, certains choisiront la qualité au détriment de la quantité. Ces derniers vont construire petit à petit des normes esthétiques propre au graffiti. Les graffeurs vont réinventer l’art de la lettre comme personne ne l’a jamais fait auparavant. Alors que la calligraphie repose sur une gestuelle précise et équilibrée, le graffiti développe ce que j’appelle « l’anatomie de la lettre ». Le meilleur exemple pour illustrer mes propos est le livre « Blackbook les mains dans l’alphabet » de l’artiste woshe. Si vous êtes du genre à vous prendre la tête avec votre lettrage, courez vous le procurer. Fondamentalement l’anatomie de la lettre ne fait que reprendre les critères de l’art antique pour l’adopter à la lettre. On retrouve des notions de composition, d’équilibre, de perspective et de dynamisme. Avec un peu de sensibilité vous pourrez cerner le génie créatif dérrière certains tag et graffiiti.

Couverture livre woshe blackbook les mains dans l'alphabet
woshe blackbook les mains dans l'alphabet

Partie 2 : Le graffiti : un courant artistique unique

Une expression brut et naïve

De mon point de vu le graffiti est le seule courant artistique unique et dissident du 20ème et 21ème siècle. Tout les autres courant artistique d’après guerre ne sont que manipulations culturelle et propagande idéologique. Même si cela nous a offert de belle oeuvre, je ne porte vraiment pas l’art moderne et contemporain dans mon coeur.

Le graffiti est une forme d’expression artistique brut et naîve. La majorité des graffeurs n’ont aucune connaissance de l’histoire de l’art et peu de culture en préambule de leur pratique. J’ai eu la chance que ma curiosité et le graffiti me mène vers d’autre piste créative, mais à mes débuts je ne percevait aucune notion artistique dans ce que je faisais. Pendant longtemps, je distinguais les graffeurs des artistes.

Mon avis est qu’en voulant créer une forme d’art naïve et populaire, les premiers tageurs ce sont concentré sur la forme d’expression la plus répandue : l’expression verbale. Les lettres qui forme des mots sont le moyen le plus évidente pour communiquer et s’exprimer, c’est au travers de sa gestation que la graffiti va sublimer et rajouter une nouvelle dimension expressive aux lettres pour aboutir à une forme unique.

Un ordre en opposition à l’ordre

On dit souvent que le graffiti est l’expression d’une révolte, d’une classe sociale méprisée. Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette idée. Le graffiti établit un ordre indépendant à l’ordre déjà établi. Le graffiti répond à des codes bien spécifiques ; le présenter comme une réponse lui ôterait son autonomie et sa suffisance. Ce courant artistique est spontané, libre tout en évoluant dans l’espace public. Les graffeurs se soucient peu du grand public, ils interagissent entre eux, créant un écosystème parallèle. On doit trouver un blaze pour être reconnaissable tout en restant anonyme. Les graffeurs proviennent souvent de toutes les catégories sociales. Comme toute communauté, le graffiti est également le lieu de camaraderie, d’appartenance à des groupes, de balance et de rancœur. S’immerger dans le graffiti, c’est voir l’espace urbain d’un nouvel œil, redécouvrir sa ville et son environnement.

Une force opposé à l’art contemporain

Le graffiti, en tant que courant unique de notre époque moderne, est la seule force opposée à l’art contemporain. Le premier ready-made de l’histoire, l’urinoir de Marcel Duchamp, a popularisé le concept de l’artiste qui fait l’œuvre et non le travail exemplaire qui témoigne du statut d’artiste. Dans ce cas, qui crée les artistes ? Les institutions et maisons de vente. Pendant la guerre froide, les fonds de soutien à l’art ont financé et promu les artistes soutenant l’idéologie souhaitée. Désormais, si un artiste inconnu, avec un travail ni technique ni original, est acheté à prix d’or, sa réputation et son prestige sont assurés. C’est le rêve du modèle capitaliste, créer de la valeur à partir de rien. Au milieu de tout cela, le graffiti, selon ses codes, la reconnaissance et le respect s’acquièrent par l’accomplissement et le travail. C’est le chemin inverse de l’art contemporain, du peuple vers les rois et non des rois vers le peuple. Quand on peint dans la rue, on ne peut pas tricoter de discours pour embellir notre peinture, elle se suffit à elle-même et le peuple en est le seul juge. Par la suite, les mêmes institutions et maisons de vente, voyant l’ampleur grandissante du street art, vont essayer de s’y accrocher pour s’acheter une légitimité par effet de halo. Ce sujet mérite d’être exploré et je prendrai le temps d’ouvrir cette porte ultérieurement.

Partie 3 : Le revers de la médaille

Entre loi et moral

En parlant du graffiti, je pourrais sembler faire son éloge, mais ce serait mentir de ne pas mentionner certains aspects négatifs bien réels. Le graffiti est considéré comme du vandalisme aux yeux de la loi et peut entraîner des condamnations sous forme d’amendes lourdes voire de peines de prison pour les cas les plus graves. Le graffiti est visuellement agressif et est perçu comme un signe d’insécurité. Cependant, il est légitime de remettre en question la morale derrière cela, car un mur graffé remplit toujours sa fonction de mur. D’un point de vue sémantique, la peinture est une matière liquide durcissant par séchage et remplissant une fonction de protection et/ou de décoration. Si je rajoute une couche de protection sur une autre, est-ce un acte de vandalisme ? Si la décoration ne plaît pas aux autorités publiques, sur quels critères se basent-elles ? La question peut sembler absurde, mais elle soulève de véritables interrogations sur l’appropriation de l’espace public.

L’ingratitude du graffiti

La triste réalité du graffiti est son ingratitude. S’investir dans le graffiti demande des efforts et des moyens pour en retour obtenir la reconnaissance de quelques pratiquants. Certains graffeurs paient le prix fort, jusqu’à en perdre la vie en se faisant électrocuter dans le métro, fauchés par un train ou faisant une chute mortelle. D’autres sont socialement asphyxiés par de lourdes amendes qui les poursuivent toute leur vie. Le graffiti prend tout et ne vous rend rien. La seule chose qui reste, ce sont les bons souvenirs avec les amis et les sensations uniques qu’on ne retrouvera probablement nulle part ailleurs. Cette reconnaissance, cette renommée que certains graffeurs ont acquises disparaîtra rapidement, car dans le graffiti, si vous n’êtes pas actif, vous disparaissez et de nouveaux venus prendront le relais. Le pique moyen d’activité moyen d’un graffeurs est de 5 ans. Certains pourront peut-être se reconvertir en artistes par la suite, mais tous n’auront pas la chance de réussir.

Conclusion

Street art vs graffiti

Une dernière note sur le street art. Ce dernier englobe toutes les formes d’art urbain, y compris le graffiti, mais aussi d’autres formes plus illustratives ou techniques mixtes. Contrairement au graffiti, le street art n’est pas codé et n’est pas réservé aux initiés. Les acteurs et spéculateurs de l’art contemporain ont voulu se donner une légitimité en s’associant à ce mouvement de plus en plus populaire auprès du grand public. Les street artistes sont actuellement très en vogue dans le monde de l’art. Cependant, cela attire beaucoup d’opportunistes qui revendiquent ce mouvement artistique sans en être issus. Le problème est que ce qui faisait la particularité de ce courant artistique, à savoir peindre dans la rue, gagner la légitimité du public, mettre son art à l’épreuve avant toute reconnaissance, se perd. Peut-on encore apprécier une forme d’art identifiée à l’authenticité, à la spontanéité et à la liberté tout en faisant l’impasse sur cela ? Mais comme je le dis toujours, l’histoire aura raisons des imposteur.

En revanche, ce que j’apprécie avec la popularité croissante du street art, c’est la remise à l’honneur de la peinture traditionnelle. Lorsque je vois les façades réalisées par les artistes, qu’on les aime ou pas, ils font tous preuve de technique et de créativité. Contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire, l’art contemporain ne fait pas l’unanimité. Je préfère de loin voir ces peintures murales fleurir dans l’espace public qu’une énième sculpture de McCarthy inspirant la médiocrité et le dégoût. Malgré le fait que le street art glisse lentement sous le contrôle des institutions, il reste l’art du peuple et non de la bien pensance.

Du graffiti à l’illustration

Quatorze ans après mon premier graffiti, je considère cette pratique comme mon premier amour, celui qui m’a tant appris mais avec qui je ne finirai pas ma vie. Grâce au graffiti, j’ai pu construire mon estime de moi-même et me sentir légitime pour envisager une carrière d’artiste. J’ai rapidement choisi le chemin de la créativité dans ma pratique, explorant la lettre jusqu’à ressentir un désir plus profond d’expression à travers l’illustration et le dessin. Mes valeurs artistiques restent inchangées. Je continue à peindre dans la rue spontanément. Peindre dans la rue reste pour moi la meilleure des sensations, et même si j’ai le privilège de vendre des œuvres à des prix que je ne pourrais me permettre. Comme le disait Rudyard Kipling : « Si tu peux rester peuple en conseillant les rois […] tu sera un homme, mon fils ».

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