En tant qu’artiste, la lecture de « Atteindre l’excellence » de Robert Greene a profondément résonné en moi. Bien que la quête de la maîtrise et de l’excellence soit commune à diverses disciplines, pourquoi donc choisir la voie de l’artiste ? Quel est le sens derrière cette recherche de l’excellence, et êtes-vous réellement conscient des implications si vous décidez d’emprunter ce chemin ? C’est une traversée du désert, longue et périlleuse…
Qu’est ce que l’excellence
- Différence entre perfection et excellence
Pour éviter toute confusion, j’aimerais éclaircir un point important : l’excellence n’est pas la perfection. La perfection est un idéal, une vision représentée dans l’esprit sans pouvoir l’expérimenté ou perceptible par les sens. Tout comme la vérité ou l’infini, on peut s’en faire une représentation, mais personne ne peut l’expérimenter. L’excellence est un niveau de maîtrise bien caractéristique et tout à fait accessible.
- Reconnaitre l’excellence
Dans ce cas, on peut se demander comment définir ou reconnaître l’excellence. Ce niveau de maîtrise se caractérise par deux points majeurs : l’accomplissement d’une tâche complexe hors de portée sans pratique ou entraînement et la facilité apparente avec laquelle cette tâche est réalisée. On peut citer comme exemple Kim Jung Gi qui dessine des scènes figuratives riches en détails à la plume sans croquis préalable, ou de Zinedine Zidane, réalisant une « panenka » en finale de la Coupe du Monde 2006 face au meilleur gardien de sa décennie.
- Le temps nécessaire pour atteindre l’excellence
Pour atteindre ce niveau de maîtrise, certains écrivains et scientifiques évoquent la règle des 10 000 heures. Cette théorie provient des travaux d’un chercheur en psychologie se nommant Karl Anders Ericsson et popularisé par Malcolm Gladwell avec son ouvrage intitulé « Outliers ». Selon cette règle, il faut accumuler 10 000 heures de pratique dans un domaine pour atteindre un niveau d’expertise de classe mondiale. Cette idée est vivement reprise dans l’ouvrage « Atteindre l’excellence » de Rober Greene. Idriss Aberkane pousse cette idée un peu plus loin en parlant de courbe d’apprentissage, affirmant qu’il faut environ 5 heures pour se familiariser avec un domaine inconnu, 50 heures pour une pratique autonome et libre, 500 heures pour enseigner ce domaine, et qu’entre 5000 et 50 000 heures, nous avons l’équivalent des prix Nobel. Pour information, il faut 17 ans à raison de 8 h par jour sans vacances ni Week-end pour atteindre 50 000 heures de pratique. Cette théorie sert surtout à illustrer que nous somme tous égaux face au génie, car il n’y a pas vraiment de talent inné. Ce qui distingue les esprits précoces et grandioses, c’est surtout à partir de quel âge ils commencent à pratiquer et l’accès aux conditions optimales de pratique. Sur ce point, malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux.
La route de l’excellence
Si vous choisissez de vous lancer dans cette quête de l’excellence, ce que j’appelle la traversée du désert votre seul et unique carburant, c’est l’amour. Vouloir atteindre l’excellence constitue un long chemin solitaire et éprouvant. Vous serez mis à rude épreuve, seuls les plus persévérants et résilients réussiront à survivre à ces conditions extrêmes. Lorsque je parle d’amour, je ne fais pas référence à une vision idyllique, mais plutôt à ce feu, cette énergie vitale en vous, cette même énergie qui vous indique le chemin de votre vie avec évidence. L’amour et la passion pour votre discipline vous aideront à cultiver une concentration et une soif de connaissance inégalables. Les doutes et le découragement jalonneront votre parcours, mais si ce domaine est le vôtre, envisager d’abandonner en cours de route reviendrait à vous arracher le cœur.
La bonne approche de l’apprentissage
Pour bien prendre en main son apprentissage de manière autonome et commencer ce voyage dans les meilleurs conditions possibles, quelques directives s’impose à nous :
- Gagner moins pour apprendre plus
Le temps sera le nerf de la guerre sur votre chemin. En attendant d’atteindre le stade ultime de la maîtrise, il faut subvenir à ses besoins primaires. Cela peut impliquer de trouver un emploi potentiellement moins bien payé, mais offrant les connaissances recherchées, ou bien d’avoir un emploi libérant énormément de temps pour l’apprentissage, quitte à vivre avec le strict minimum.
- Retrouver un sentiment d’infériorité
Accepter d’être nul, minable, voire pitoyable au début. Même avec une motivation débordante inspirée par ceux qui ont déjà accompli cette traversée, il est essentiel d’accepter pleinement ce sentiment d’infériorité. Accordez-vous le temps, soyez comme un enfant, transformez votre esprit en un réceptacle ouvert à la connaissance. Si vous vous frustrez des premiers résultats au début de votre traversée du désert, vous n’avez aucune chance de survivre.
- Aller au-delà de la souffrance et de l’inconfort
Je le dis franchement : c’est difficile. Si vous vous sentez ménagé pendant votre apprentissage, vous n’êtes pas sur la bonne voie. Ne vous laissez pas abuser par une bienveillance excessive, car l’être humain, par nature, n’a aucune raison de changer ou d’évoluer si tout va bien pour lui. Il va falloir embrasser vos faiblesses et aller à la rencontre de l’inconfort. Il faudra vous voir tel que vous êtes vraiment, sans la moindre tendresse. Développez votre capacité à identifier froidement vos défauts. En mettant le doigt là où ça fait mal, vous pourrez faire preuve d’ingéniosité et créer des exercices spécifiques pour combler vos lacunes. Cela demande un certain recul sur soi-même.
- Elargissez vos horizons
Soyez vigilant sur votre chemin, ne vous fermez pas à d’autres éventualités, autorisez-vous quelques arrêts et détours lors de votre périple. Atteindre l’excellence nécessite d’organiser soi-même son apprentissage, et vous ne trouverez pas l’organisation parfaite dès le départ. Parfois, vous devrez acquérir des connaissances dans un domaine extérieur à votre domaine de prédilection pour faciliter votre apprentissage. Restez curieux et ouvert d’esprit.
- Faites confiance au processus
Faites confiance à la carte que vous avez élaborée, même si vous ne voyez peut-être pas encore le bout du chemin. Atteindre la maîtrise suprême peut prendre du temps, et nous avons souvent tendance à remarquer nos progrès sur une période de temps très courte. De plus, votre progression risque de se faire par paliers et non de manière linéaire. Vous passerez par des moments de doute, où vous aurez l’impression de tourner en rond. C’est normal, avec persévérance, vous arriverez au bout du désert
Absorber le pouvoir des maîtres
- Vous ne serez jamais le premier à emprunter ce chemin
Vouloir atteindre l’excellence témoigne de votre courage, mais sachez faire preuve également d’humilité. N’oubliez pas que vous ne serez probablement pas le premier à entreprendre ce voyage. Le meilleur moyen d’arriver à destination est de marcher sur les traces de vos prédécesseurs. La nouveauté en peinture découle de l’amour pour ces ancêtres, et non de la haine. Le simple fait d’être artiste ne suffira pas à révolutionner l’art si vous ne comprenez pas votre place dans les pratiques artistique passée. Comme nos aînés, faisons en sorte que ce dur labeur serve d’héritage. Si vous repoussez les limites des capacités humaines, soyez sûrs que d’autres voudront suivre vos traces. L’art est un langage transcendant le réel et l’imaginaire, le lien entre la matière et le spirituel. Agissez au sein d’une conscience collective. Étudiez ce qui a été fait de mieux pour apporter votre pierre à l’édifice. Et pour cela, rien de mieux qu’un mentor.
- Trouvez un mentor
Il est dit qu’on apprend plus rapidement au prêt d’un individu détenteur d’un diplôme qu’en suivant le parcours scolaire pour obtenir ce diplôme. L’apprentissage par le mimétisme humain est la méthode la plus simple, naturelle et efficace qui soit. Il suffit d’observer comment les enfants reproduisent davantage les actions de leurs parents que leurs paroles. Si l’excellence dans votre domaine est votre objectif, il est essentiel de vous entourer des meilleurs. Malheureusement, le modèle d’apprentissage par alternance pour le dessin et la peinture est soit obsolète, soit très difficile d’accès. La plupart des génies sont soit décédés ou inaccessibles, la lecture devient ainsi une solution alternative pour tirer profit des enseignements de ses mentors.
La maîtrise de son esprit
J’ai choisi de ne pas aborder ce sujet jusqu’à présent, mais le niveau ultime de maîtrise de toute pratique vous conduira à la maîtrise de votre esprit. La vraie récompense de l’excellence ne réside pas tant dans les résultats de votre pratique assidue que dans la transformation intérieure qui en découle. Un adage bien connu, mais d’une vérité profonde nous rappelle que le plus important n’est pas la destination, mais le voyage. Si vous traversez ce désert seul, avec toutes ses conditions extrêmes de survie, vous ne pouvez être la même personne. Atteindre l’excellence est un processus qui marque un esprit à jamais. Les personnes qui ont vu votre parcours ne vous reconnaîtront plus à l’arrivée. Vous êtes comme Sangohan sortant de la salle du temps, prêt à affronter Cell.
Conclusion
J’aimerai conclure par une idée avancée par Rober Greene. D’après lui, si on se base sur la réalité décrite part la théorie de l’évolution, soit une origine commune à toute intelligence sur terre. L’être humain possède, deux modes de réflexion contradictoires : l’un cherchant à se distinguer de cette interconnexion, de l’autre cherchant des liens partout. Nous faisons l’expérience de connaissances distinctes dans les premières années de notre vie pour ensuite mettre en relation les connaissances de différents domaines. La vision humaniste de la Renaissance était celle d’être scientifique, philosophe, médecin, avec pour objectif d’englober différents domaines de connaissances pour se rapprocher de la vision divine, non pas dans le but d’être Dieu, mais de se rapprocher de Lui. Pour combler ce manque de spiritualité dans nos vies occidentales, l’auteur évoque l’émergence d’une renaissance moderne avec l’approche de la médecine du corps globale, les découvertes de la mécanique quantique mises en parallèle avec d’autres domaines, la mise en commun de diverses connaissances scientifiques. En dirigeant notre cerveau vers la maîtrise, la frontière entre nous et le monde s’affine. Le cerveau d’un maître est un biotope où toutes les connaissances forment une biodiversité interconnectée.
Chers compagnons de voyage, je suis loin d’avoir atteint la maîtrise. Si l’on se fie à la règle des 10 000 heures, je dois être aux alentours de 4000 à 6000 heures de pratique. Je me trouve à un moment de ma vie où faire marche arrière serait encore plus difficile que d’aller jusqu’au bout. Cependant, j’ai assez parcouru ce désert pour commencer à le dompter, et je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui veulent entreprendre ce périple. Ce texte doit être pris comme un carnet de voyage ou une bouteille à la mer, qui, je l’espère, vous guidera et facilitera votre voyage.